La réforme du statut des terres excavées
Laurent Mogno, président d’ECT, analyse le contexte réglementaire actuel des terres excavées et les évolutions du statut de ces terres. 5 questions pour “En pratique, tout savoir sur”.
QUEL EST LE CONTEXTE RÉGLEMENTAIRE ACTUEL CONCERNANT LE STATUT DES TERRES EXCAVÉES ?
Rappelons que les terres excavées sont issues des activités du BTP et représentent 40 % du volume des déchets produits en France. Actuelle-ment, dès lors qu’elles sortent de leur site d’excavation, elles sont juridiquement considérées comme des déchets.
La terminologie et le statut de déchet sont mal compris, voire anxiogènes pour le grand public, alors même que le statut est très protecteur pour l’environnement et la santé. En effet, il oblige les professionnels du BTP à appliquer la réglementation prévue par le Code de l’environnement sur le contrôle et la traçabilité, notamment par l’intermédiaire des installations classées.
La mise en application de ce statut est confortée par l’action d’une police de l’environnement dont les contrôles permettent, le cas échéant, de conduire à des sanctions administratives et pénales. Ce statut est à l’origine de grandes avancées pour responsabiliser les producteurs des terres excavées. Il ne faut pas baisser la garde alors que les comportements inciviques, délictuels ou même mafieux restent trop nombreux.
POURQUOI UN NOUVEL ARRÊTÉ MINISTÉRIEL EST-IL EN PRÉPARATION ?
L’idée, louable, est de favoriser le développement d’une économie circulaire des déchets du BTP. Si des évolutions réglementaires sont souhaitables pour certaines catégories de déchets, afin notamment de faciliter l’action d’entreprises sociales et solidaires (ESS), il faut être très prudent sur le sujet des terres excavées : la réglementation actuelle est contraignante mais elle permet de gérer des volumes très importants, tout en prenant en compte les enjeux environnementaux et sanitaires.
QUE CONTIENT LE NOUVEAU TEXTE ?
Le projet d’arrêté ministériel propose de simplifier les modalités de sortie du statut de déchet des terres excavées, qu’elles soient polluées ou inertes. Cette volonté de « dérégula-tion » se traduira à terme par le fait que le producteur de terres excavées (le maître d’ouvrage ou son presta-taire) pourra réaliser lui-même cette sortie, sans traitement préalable en installation classée, sur la base de contrôles simplifiés et en concluant un contrat de droit privé avec le site receveur. Cette sortie facilitée pourrait ainsi s’effectuer en dehors du contrôle des autorités administratives et de la police de l’environne-ment. En allégeant le régime de traçabilité, l’arrêté met, de fait, un terme à la responsabilité administrative et pénale du producteur de déchets.
Dans une nouvelle mouture du pro-jet, en consultation, le ministère de la Transition écologique et solidaire prend en compte une partie des re-marques formulées par les professionnels mais cela reste insuffisant pour assurer un contrôle et une traçabilité efficients.
QUELLES POURRAIENT ÊTRE LES CONSÉQUENCES POUR L’ENVIRONNEMENT ET LA SANTÉ HUMAINE ?
La lutte contre les dépôts sauvages de gravats ou de terres excavées est une préoccupation quotidienne pour les maires des communes rurales proches des territoires où le BTP a une forte activité. Cette véritable ba-taille contre ce fléau sociétal et en-environnemental, qui va de l’incivilité jusqu’au grand banditisme, demande au contraire de renforcer les exigences en matière de contrôle et de traçabilité. Sans un régime fort de traçabilité, c’est face à un risque systémique d’erreurs, de fraudes et de trafics à grande échelle que nous serons confrontés, avec à la clé un brouillage des responsabilités en cas de pollution avérée, de contamination ou de détérioration de la qualité des sols et/ou des eaux souterraines. Comment se satisfaire en effet du transfert de la responsabilité de l’État vers les maires, qui verraient des aménagements réalisés sur leur territoire sans véritables moyens de les contrôler et de sanctionner les éventuels responsables ?
QUEL SERAIT LE CADRE RÉGLEMENTAIRE APPROPRIÉ ?
Comme le propose l’Union nationale des exploitants du déchet (Uned), il serait souhaitable de dépasser le cadre réglementaire pour affirmer, dans la loi, un statut spécifique des terres excavées. Ce statut légal doit s’attacher à confirmer les exigences du Code de l’environnement et à en-cadrer les conditions de dépollution ou de réutilisation de ces terres. Il devrait se structurer autour de principes simples : renforcer les exigences de traçabilité des terres entre le site producteur et le site receveur, confirmer une responsabilité administrative et pénale conjointe du producteur et du receveur, réaffirmer l’obligation d’un traitement préalable en installation classée – au moins pour les terres polluées – et encadrer la souhaitable réutilisation des terres inertes par le site receveur.